Ricardo Odnoposoff
Autriche, °1914 - 2004 †
Ricardo Odnoposoff est né de parents russes immigrés à Buenos Aires. Le talent musical exceptionnel du jeune homme poussa ses parents à s'efforcer de lui donner une éducation musicale en Europe. Ils firent une première tentative avec Leopold Auer, qui fut un échec : le professeur légendaire de plusieurs générations de violonistes, qui avaient dominé la scène musicale internationale (Jascha Heifetz, Nathan Milstein, Misha Elman), hésitait à prendre un élève si jeune alors qu'il était déjà d'un âge avancé. Ainsi, suivant les conseils d'Erich Kleiber, Ricardo Odnoposoff étudia tout d'abord avec le konzertmeister Rudolf Deman à Berlin, puis avec Carl Flesch quelques mois plus tard.
Ricardo Odnoposoff obtint son diplôme en 1932, après quatre années d'étude ; mais un autre évènement cette même année eut des conséquences plus décisives sur sa carrière : en juin, le jeune violoniste de 18 ans remporta un prix du premier Concours International de Chant et Violon de Vienne. Il éveilla ainsi l'attention des cercles d'influence du monde musical, et notamment celle du directeur de l'Opéra National de Vienne, Clemens Krauss. Les premiers violons solo de l'Opéra et de l'Orchestre Philharmonique de l'époque - Arnold Rosé, Julius Stwertka et Franz Mairecker, avaient en moyenne 60 ans. En 1923, Richard Strauss avait remarqué les difficultés du concertmaster Karl Prill, ce qui mena à le remplacer par Heinrich Schwarz pour le solo de violon de Bürger als Edelmann de Strauss. Prill prit sa retraite en 1925, mais la situation ne s'améliora pas. Clemens Krauss - qui est connu pour avoir pris de nombreuses décisions concernant le devenir du Philharmonique - s'empara de cette opportunité et en 1933, et sans audition, offrit le poste de concertmaster au jeune Odnoposoff (qui n'avait alors que 19 ans). La première performance de Ricardo Odnoposoff au premier pupitre fut dans Othello de Verdi, le 25 décembre 1933, et sa première apparition philharmonique lors du concert de gala donné pour le 70ème anniversaire de Richard Strauss, le 10 juin 1934. Par la suite, Wilhem Furtwängler dirigea Ein Heldenleben et insista pour que Ricardo Odnoposoff jouât la partie de violon solo. Jusqu'en 1937, il se produisit à sept reprises en soliste avec l'Orchestre Philharmonique de Vienne - dont deux fois pour le Concerto pour Violon en la majeur KV 219 de Mozart. Pour le 100ème de l'anniversaire de Camille Saint-Saëns (1835-1921), une série de concerts fut organisée en l'honneur du compositeur. Il y fit ses débuts avec le Concerto pour Violon en si mineur Op. 61, les 25 et 26 janvier 1936, sous la direction de Felix von Weingartner.
Selon Ricardo Odnoposoff lui-même, il était nécessaire pour un jeune konzertmeister d'un orchestre philharmonique de se considérer d'autant plus comme un soliste : ainsi, il donna un récital incluant les concerti de Johannes Brahms et d'Antonín Dvorák, ainsi que le Concerto en ré majeur KV 218 de Mozart, sous la baguette de Josef Krips et accompagné par le Philharmonique. Il fit en plus de nombreuses apparitions en tant que soliste, à Vienne et lors de tournées - notamment pour un récital de sonates accompagné du pianiste Bruno Walter, le 2 décembre 1935. Ces collaborations artistiques s'étendirent aux concerts avec le Philharmonique, avec lequel il joua l'un de plus grands solos d'orchestre : l'Aria de l'opéra Il re pastore de W. A. Mozart, avec Elisabeth Schumann et sous la direction de Walter, au cours d'une tournée de l'orchestre à Londres en juin 1937. Lors de cette même tournée, Odnoposoff singularisa l'orchestre en proposant une interprétation d'une œuvre pour violon de Franz Kreisler au gala de l'Ambassade d'Autriche.
L’événement ayant probablement été le plus décisif dans la carrière de Ricardo Odnoposoff se produisit en 1937 : cette année-là, le Concours Ysaÿe se distingua par le duel artistique légendaire entre Ricardo Odnoposoff - deuxième prix - et David Oistrakh - qui remporta le premier prix. Ce succès sensationnel attira considérablement l'attention internationale, et constitua un tournant pour la carrière d'Odnoposoff. Il reçut de nombreuses offres de concerts en soliste, qui lui firent quitter son poste de premier violon. Il quitta l'Autriche à l'automne 1938 - départ aussi motivé par le climat politique de l'époque. Après des engagements en Italie, il retourna à Vienne mais se vit refuser l'entrée à l'Opéra : il avait pourtant acquis la citoyenneté autrichienne et était devenu un viennois enthousiaste, mais, ayant conservé la nationalité argentine et l'Autriche ayant été annexée par l'Allemagne nazie, il n'était plus le bienvenu dans son propre pays.
Il partit donc pour la Belgique, puis pour l'Argentine en 1940. En 1942, il fit ses débuts à New York, où il vécut jusqu'en 1956. Cette même année, il revint à Vienne et devint professeur à l'Académie de Musique en 1957. Il enseigna dans cet établissement jusqu'en 1973, et compta notamment parmi ses élèves trois futurs membres du Philharmonique de Vienne : Paul Giggenberger (1941-2000), Ortwin Ottmaier et Edward Kidlak (retraités depuis septembre 2003). Les activités pédagogiques d'Odnoposoff ne se limitèrent pas à Vienne : il enseigna aussi à Stuttgart, et à Zurich jusqu'en 1994. Malgré l'importance de ce travail, l'essentiel de sa carrière restait tournée vers ses concerts, comme le confirment ses centaines d'apparitions publiques et ses enregistrements. Plusieurs de ces enregistrements ont heureusement été re-publiés sur CD.
Après la Deuxième Guerre Mondiale, Odnoposoff fit six apparitions aux côtés de ses anciens collègues viennois. Les 1er et 2 février 1947, il interpréta le concerto de Brahms avec Josef Krips lors de sa série de concerts, et joua la Symphonie Concertante KV 364 en 1961, avec Rudolf Streng pour premier altiste et dirigé par Carl Schuricht, à l'occasion du concert de gala Mozart à Insbruck. Il donna aussi deux concerts lors de la Semaine Mozart de Salzbourg. La dernière apparition de Ricardo Odnoposoff avec le Philharmonique de Vienne eut lieu le 13 juin 1965, à l'auditorium principal du Konzerthaus, et au cours de laquelle il créa le Concerto pour violon de Theodor Berger, sous la baguette d'Eugene Ormandy.
La dernière rencontre entre le violoniste et « son » orchestre eut lieu le 25 février 1994 au Musikverein. Pour son 80ème anniversaire, il reçut l'anneau honoraire du Philharmonique de Vienne alors qu'il achevait une répétition sur le podium du Golden Hall. Cet anneau - sans doute la décoration la plus personnelle de l'orchestre - fut donné en l'honneur de cet artiste qui, bien qu'il n'ait fait partie de l'orchestre que pendant quatre ans, en resta proche pendant toute sa vie. Il garda contact avec le Philharmonique de Vienne pendant ses dernières années, non seulement grâce à son ancien élève Ortwin Ottmaier, mais aussi à cause de son intérêt personnel et de son identification à cet orchestre.
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